Lieu de tournage La Zone d’intérêt

Les dessous du tournage de La Zone d’intérêt : une plongée saisissante dans l’horreur d’Auschwitz

Le film La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer, adaptation du roman éponyme de Martin Amis, a marqué les esprits lors de sa présentation en compétition officielle au Festival de Cannes 2023. Pour reconstituer avec une précision glaçante l’univers du commandant nazi Rudolf Höss et de sa famille vivant à proximité du camp d’extermination d’Auschwitz, le réalisateur a fait le choix audacieux de tourner au plus près du lieu historique, avec toute la charge émotionnelle et les défis logistiques que cela implique.

Recréer la propriété des Höss : un défi titanesque

Afin de retranscrire au mieux l’atmosphère oppressante de la villa des Höss, Jonathan Glazer souhaitait initialement filmer dans la maison d’origine. Cependant, le statut d’Auschwitz, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, interdisait toute construction dans un périmètre de 500 mètres autour du site. L’équipe a donc opté pour la transformation d’un bâtiment abandonné, une ancienne caserne d’officiers située à seulement 180 mètres de la véritable propriété.

Le chef décorateur Chris Oddy et son équipe n’avaient que quatre mois pour reconstruire la villa au centimètre près, en se basant sur des photographies et des plans d’époque. Un véritable exploit, qui a nécessité l’ajout de fenêtres, de cages d’escalier, de porches, mais aussi la recréation intégrale du jardin tant chéri par Hedwig Höss, l’épouse du commandant. Les arbres ont été les premiers éléments mis en place, dès février 2021, afin de leur laisser le temps de s’acclimater à ce nouvel environnement.

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Filmer sur les lieux de l’horreur : un défi psychologique pour les acteurs

Au-delà des prouesses techniques et logistiques, tourner La Zone d’intérêt sur le sol même d’Auschwitz a représenté un véritable défi émotionnel pour les acteurs. Comme le souligne Jonathan Glazer, les interprètes allemands Sandra Hüller et Christian Friedel ont dû incarner des personnages qui auraient pu être leurs grands-parents, avec toute la charge psychologique que cela implique.

Sandra Hüller confie d’ailleurs avoir longtemps refusé de jouer une nazie, tant la représentation glamour de cette période de l’Histoire la révulsait. Trouver le juste équilibre entre humanité et absence d’humanité dans l’interprétation des Höss a été un véritable défi pour les acteurs, confrontés à l’indicible sur ce lieu chargé d’histoire.

Une photographie sans artifice pour ne rien esthétiser

Afin de retranscrire l’horreur sans tomber dans le piège de l’esthétisation, Jonathan Glazer et son directeur de la photographie Łukasz Żal ont opté pour une approche résolument brute et détachée. L’utilisation d’objectifs grand-angle, de cadres géométriquement centrés et de sources de lumière naturelles ou diégétiques a permis de créer une image volontairement plate et sans artifice.

Comme l’explique Łukasz Żal, l’enjeu était de faire en sorte que la caméra soit comme un œil, un témoin implacable de l’horreur. Même lors de l’étalonnage, l’équipe a veillé à ne pas manipuler l’image, pour rester au plus près d’une certaine vérité crue.

Un réseau de caméras pour capturer l’insoutenable coexistence des extrêmes

Pour saisir le contraste insupportable entre la vie quotidienne de la famille Höss et les atrocités perpétrées de l’autre côté du mur, Jonathan Glazer a eu recours à un réseau de caméras de surveillance. Cette installation a permis de filmer simultanément des séquences mises en scène dans différentes parties d’un même bâtiment, révélant ainsi l’obscène proximité entre la normalité apparente et l’horreur absolue.

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Le réalisateur résume cette démarche par une formule saisissante : « Big Brother chez les nazis« . L’idée était d’observer ces gens dans leur vie de tous les jours, de capter la coexistence aberrante entre des gestes anodins, comme se verser une tasse de café, et le meurtre de masse se déroulant à quelques mètres de là.

Un travail de documentation minutieux

En amont du tournage, Jonathan Glazer et son équipe se sont plongés dans un vaste travail de recherche et de documentation. Pendant trois ans, ils ont exploré les archives du Mémorial et Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, parcourant les « livres noirs » et les milliers de témoignages de victimes et de survivants.

Le réalisateur était en quête du moindre détail sur Rudolf Höss, sa femme Hedwig et leurs enfants. Des photographies de la villa, notamment un cliché d’Hedwig et de ses enfants posant devant un toboggan en bois, ont été cruciales pour guider le travail de reconstitution du chef décorateur Chris Oddy.

Un film récompensé pour son audace et sa justesse

Le pari audacieux de Jonathan Glazer de tourner au plus près de l’horreur pour mieux la révéler a été salué par la critique et les professionnels du cinéma. La Zone d’intérêt a remporté le Grand Prix et le Prix FIPRESCI au Festival de Cannes 2023, ainsi que le Prix CST de l’artiste technicien pour le travail remarquable de son sound designer et chef monteur son, Johnnie Burn.

Le film a également été récompensé aux Oscars 2024, décrochant la statuette du Meilleur film international et celle du Meilleur son. Une reconnaissance amplement méritée pour cette œuvre aussi nécessaire que dérangeante, qui parvient, par sa maîtrise technique et sa justesse de ton, à nous confronter à l’indicible sans jamais verser dans le sensationnalisme ou le voyeurisme.

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En choisissant de filmer au cœur même du lieu de l’horreur, en recréant minutieusement le décor de la vie quotidienne des bourreaux, en captant sans artifice la coexistence obscène du banal et de l’abject, Jonathan Glazer signe avec La Zone d’intérêt une œuvre essentielle. Un film qui nous oblige à regarder en face la mécanique implacable de la déshumanisation, et qui rend, par son audace même, un bouleversant hommage aux victimes.

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