Stillwater : une plongée captivante dans les mille visages de Marseille

En 2021, la cité phocéenne a servi de décor majestueux à Stillwater, un drame palpitant réalisé par Tom McCarthy (oscarisé pour Spotlight) avec Matt Damon dans le rôle principal. Au-delà d’une intrigue haletante, le film offre un formidable portrait de Marseille dans toute sa diversité et sa complexité. Suivez-nous dans les coulisses d’un tournage hors-norme, des quartiers populaires au mythique stade Vélodrome en passant par les somptueuses calanques.

Quand Marseille s’impose comme une évidence

L’histoire de Stillwater commence dix ans avant le tournage. Quand il entame l’écriture du scénario en 2010, le réalisateur Tom McCarthy a déjà son idée en tête : ancrer ce thriller dans une ville portuaire d’Europe, en s’inspirant d’auteurs de polar méditerranéens comme l’iconique marseillais Jean-Claude Izzo (Total Khéops).

« Il m’a suffi de me rendre une seule fois à Marseille pour savoir immédiatement que j’avais trouvé le lieu idéal pour mon histoire », se souvient le cinéaste américain. « Tout m’a saisi. L’atmosphère si particulière, la lumière, les couleurs, le métissage des cultures, le rythme trépidant de cette métropole… C’était indéniablement le cadre rêvé pour mon film. »

Déterminé à capter l’identité profonde de la cité phocéenne, loin des clichés, McCarthy a voulu montrer des facettes méconnues et pas forcément glamour de la ville. Son objectif : ancrer le périple de son personnage principal dans un environnement d’un réalisme brut, presque documentaire. On est loin de La French ou de Taxi, qui faisaient la part belle aux lieux les plus photogéniques et touristiques.

Ici, c’est une autre Marseille qu’on découvre. Celle des quartiers populaires, des barres HLM, des zones d’ombre qui font le quotidien d’une partie de ses habitants. Un visage sans fard qui donne une vraie consistance et une authenticité à la quête obstinée de Bill Baker, un foreur de l’Oklahoma venu prouver coûte que coûte l’innocence de sa fille emprisonnée pour meurtre. Un choc de cultures qui est le cœur vibrant du film.

Dans la peau d’un « roughneck »

Pour se glisser dans la peau de ce père taciturne issu d’un milieu modeste, Matt Damon n’a pas fait les choses à moitié. Bien décidé à être crédible en « roughneck », un terme qui désigne ces travailleurs manuels exerçant des métiers très physiques comme foreur de pétrole, il a passé beaucoup de temps en immersion dans l’Oklahoma avec de vrais ouvriers.

Un travail de terrain qui transparaît à l’écran dans sa gestuelle précise, sa démarche un peu lourde, mais aussi ses tenues ultra « utilitaires », loin de tout glamour : boots, jeans, casquette vissée sur la tête… La star hollywoodienne s’est fondue dans le décor avec un naturel confondant, contrastant avec les looks plus apprêtés du reste du casting marseillais.

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L’équipe a d’ailleurs tourné près de 80% du film à Marseille, avec un traitement visuel distinct pour ces séquences : caméra portée à l’épaule, plans serrés, nervosité du cadre… Une façon de capter au plus près le bouillonnement de la ville, son énergie vitale et parfois électrique. À l’opposé, les scènes tournées en Oklahoma adoptent une facture plus classique et posée, avec des plans plus larges. Deux identités qui traduisent avec force le fossé entre ces territoires que tout oppose, géographiquement et culturellement, et le choc brutal vécu par le héros.

La cité phocéenne comme vous ne l’avez jamais vue

Pour coller au plus près d’une réalité sociale souvent invisible à l’écran, Tom McCarthy a tenu à poser sa caméra dans des lieux habituellement boudés par les tournages. À commencer par la prison des Baumettes, où ont été filmées les scènes de parloir entre Bill et sa fille Allison, incarnée par Abigail Breslin (Little Miss Sunshine).

« On a investi une partie désaffectée, mais fonctionnelle, de cette prison mythique. L’idée était d’être le plus fidèle possible à l’endroit, sans artifices. On y a apporté quelques menues modifications, mais l’essentiel du décor était là, avec cette dureté et cette austérité propres à ce type de lieu », souligne le chef décorateur Philip Messina.

Même parti-pris pour les séquences situées dans une cité des quartiers nord, point névralgique de l’intrigue, où le personnage de Matt Damon se rend à plusieurs reprises. Elles ont été tournées dans la tour Kallisté, une barre HLM promise à la démolition. « C’était une expérience assez incroyable de filmer là-bas, un environnement particulier, avec une certaine tension. Il y avait ces ouvriers qui jetaient des meubles par les fenêtres… Une ambiance qui imprégnait forcément le jeu des comédiens, et qu’on ressent à l’image », raconte Messina.

Un casting marseillais jusqu’au bout des ongles

Au-delà des décors, c’est tout un écosystème marseillais que le film a voulu embrasser, en intégrant de nombreux acteurs locaux, à commencer par la révélation Lilou Siauvaud dans le rôle de Maya, la fillette de Virginie (Camille Cottin), qui noue une relation touchante avec le personnage de Damon.

On retrouve aussi des figures familières du cinéma hexagonal comme Moussa Maaskri, un enfant de la cité phocéenne, en habitué des rôles de truand depuis Taxi, ou encore Idir Azougli, découvert dans le saisissant Shéhérazade, et qui campe ici un petit caïd que le héros va traquer sans relâche.

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Mais la production a aussi fait appel à une foule de petits rôles et de figurants recrutés sur place : au café, dans la rue, en tribune du stade Vélodrome… Une mosaïque de visages, d’accents, qui donne une formidable texture humaine et une crédibilité sans faille à cette immersion dans le ventre de Marseille et son melting-pot unique.

Le défi de l’enceinte mythique du Vélodrome

Parmi les nombreuses séquences tournées aux quatre coins de la ville, c’est certainement celle qui a pris place dans l’enceinte du stade Vélodrome qui s’est avérée la plus complexe techniquement. Il faut dire que filmer au cœur du sanctuaire de l’Olympique de Marseille, qui peut accueillir plus de 67 000 supporters, représentait un véritable défi !

« On voulait saisir l’énergie électrique des tribunes et de la foule lors d’un vrai match, dans les conditions du direct. Avec Tom (McCarthy), on s’est rendus plusieurs fois au stade pour repérer les lieux et préparer méticuleusement ce tournage hors-norme », se souvient le directeur de la photographie Masanobu Takayanagi.

L’équipe a profité d’une rencontre opposant l’OM à Saint-Étienne pour infiltrer plusieurs caméras parmi les supporters et capter au plus près l’ambiance survoltée d’un soir de match. Matt Damon s’est lui-même glissé incognito dans les travées, se fondant dans la masse des spectateurs pour goûter de l’intérieur à cette expérience si particulière. « Ça rendait la scène plus réelle, plus organique aussi, de la vivre ainsi de l’intérieur, au cœur du chaudron », souligne l’acteur.

Les plans plus serrés sur les protagonistes ont ensuite été réalisés un jour de stade vide, non sans mal. « C’était assez vertigineux de se retrouver dans cette immense enceinte déserte, qui respirait encore l’énergie folle de la veille. Un moment de cinéma assez unique, dans un lieu chargé d’histoire », ajoute Takayanagi.

Cette séquence, aussi spectaculaire qu’introspective, constitue un des temps forts du film. En assistant à ce match de légende, le héros fait face à ses propres démons, ses failles intimes, dans ce vivier à ciel ouvert qui catalyse toutes les passions. Et cristallise, par son ampleur, l’effet de sidération qu’exerce Marseille sur cet Américain en quête de vérité. Une cité portuaire qui, au fil de son périple, va profondément le transformer.

Du bleu turquoise des calanques aux ruelles du Panier

Si Stillwater explore en profondeur les quartiers populaires et le centre névralgique de la cité phocéenne, il fait aussi la part belle à des sites naturels d’exception, à l’image des sublimes calanques qui bordent la ville. Ces criques aux eaux turquoise, encadrées de falaises calcaires, servent d’écrin à plusieurs scènes clés.

C’est notamment dans la majestueuse calanque de Sormiou, l’une des plus sauvages, que Bill se rapproche de Virginie, une actrice française qui va l’aider dans son enquête. Un moment de communion dans une nature époustouflante, qui agit comme une respiration au cœur d’une intrigue tendue.

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On traverse aussi le dédale coloré du Panier, le plus vieux quartier de Marseille, où Bill loge dans une modeste chambre d’hôtel. Un labyrinthe de ruelles escarpées chargées d’histoire, avec ses façades décrépies qui ont vu passer des générations d’ouvriers et d’immigrés venus de tous les horizons. Comme un miroir de sa propre histoire, de sa condition modeste.

Le film nous entraîne également sur le Vieux-Port, poumon historique de la ville, avec sa criée aux poissons, ses restaurants, son marché aux puces sur les quais… Une cavalcade urbaine qui mêle subtilement les rues commerçantes de Noailles, les places ombragées du quartier Longchamp, les boulevards de la Canebière et du Prado… Un kaléidoscope de lieux, tour à tour populaires et majestueux, qui dressent un portrait kaléidoscopique de la cité.

Marseille, personnage central et romanesque

Bien plus qu’un simple décor, Marseille s’impose donc comme un personnage à part entière du film, qui irradie chaque plan de sa lumière si singulière et de son métissage unique. Avec Stillwater, McCarthy signe une véritable déclaration d’amour à une ville qu’il dépeint sans artifices, dans un souci d’authenticité et de justesse.

Loin des poncifs et des clichés, il capte une réalité crue mais chatoyante, entre polar et chronique sociale. En explorant les interstices de la ville, en infiltrant ses secrets et ses non-dits, en nous immergeant au cœur de la vie de ses habitants, il restitue toute la complexité d’une cité aux multiples visages. Une mosaïque urbaine faite d’ombre et de soleil.

Ce road-movie ancré dans une réalité très contemporaine résonne aussi comme un hommage aux grands films noirs des années 1970 tournés à Marseille, de French Connection à Un prophète en passant par La Balance. Des thrillers sociaux et romanesques qui, déjà, s’attachaient à décrypter l’âme de la cité phocéenne en explorant ses bas-fonds.

Mais la force de Stillwater est de transcender les genres pour embrasser un sujet universel et intime : celui d’un homme en quête de rédemption, prêt à tout pour sauver sa fille et se racheter une humanité. Un périple initiatique porté par un duo d’acteurs magnétique – Damon et Cottin -, qui se réinventent le temps d’un film solaire et crépusculaire à la fois, profondément ancré dans le réel.

En filmant Marseille comme jamais, dans ses recoins les plus méconnus et contrastés, Stillwater nous offre une cartographie secrète et envoûtante d’une ville-monde. Une cité portuaire qui, par son histoire et son identité unique, se prête à merveille aux histoires les plus romanesques. Et prouve, une fois de plus, son statut de personnage de cinéma à part entière, aussi rugueuse que fascinante. Une héroïne qui n’a certainement pas fini de faire briller les caméras du monde entier…

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